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就職活動 Shūshoku Katsudō

Ceci ne sera pas un article joyeux.

Commençons par une petite mise en bouche par quelques étudiants de la Tokyo University of The Arts, une vision du 就職活動 Shūshoku Katsudō, traduit Job Hunting en anglais,  ou en français par un bien désolant « recherche d’emploi ».

La recherche d’emploi est très spéciale au Japon. Déjà, une distinction : アルバイト arubaito et 正社員 seisha’in. Cette distinction est déjà importante dans la conception du marché du travail japonais. Les petits boulots, appelés « arubaito », de l’allemand « Arbeit », désignent principalement les jobs étudiants. Serveurs, caissiers, livreur de sushi, vendeur, etc… Beaucoup, si non tous mes copains (étudiants) japonais en ont un, qui occupe pas mal du temps qu’ils ne passent pas à la fac. Ils sont relativement facile à obtenir, paient peu, et sont flexibles. Un Français dirait que c’est précaire, un Japonais rétorquerait que c’est mieux que de ne rien faire. En France, une proportion bien moindre de mes copains étudiants travaillent. Ceux qui le font sont ceux dans le besoin, et/ou préfèrent le faire durant les vacances d’été. Ayant suivi l’influence japonaise après mon retour à Fukuoka, j’ai fais un petit boulot en France à côté de mes études : mes collègues, bien que majoritairement étudiants, étaient bel et bien de ceux sévèrement dans le besoin, n’ayant pas ou peu d’aide de leurs parents. La logique est largement différente d’en France. D’un côté, les étudiants japonais reçoivent moins d’aides de la part du gouvernement, mais le soutien de la part de la famille est conséquent, de sorte que tous les frais sont également pris en charge. Il n’y a pas tant de besoin, mais une envie de gagner de l’argent. Tous les autres le font, et l’argent gagné peut être utilisé pour… tout plein de choses, en bonus. C’est -presque- la norme.

Mais, cette distinction faite, plutôt que des arubaito, qui sont quand même des jobs de merde sans avenir, je vais parler des seishain, littéralement « vrais employés ».

L’emploi à vie fut l’idée maitresse de ce à quoi les Japonais pouvait s’attendre pendant les années de boom économique du Japon post-guerre. L’emploi d’un jeune à la sortie de l’université avec les plus hautes qualifications possibles, et un salaire qui commence bas pour monter progressivement avec l’âge, a fait des jeunes une cible très prisée à l’emploi, avec de l’autre côté une forte incitation à licencier les vieux qui sont chers et ne sont plus aussi rentables, bien que relativement performants grâce à leur expérience accumulée. Malgré tout, ce « contrat social », respecté par les grandes firmes japonaises permet à la plupart des plus de 60 ans de rester dans l’entreprise. Ah, oui, la plupart veulent travailler. Peu importe l’âge. Surtout de nos jours où les retraites sont maigres, il est préférable de rester faire ce qu’ils savent faire de mieux. Mais bref. Pour récapituler,  il y a donc ce système avec une grille de salaires basée principalement sur l’âge, qui favorise donc l’emploi des jeunes pas cher. Au passage, il y a un salaire minimum mis en vigueur, mais il a vraiment pour rôle d’indiquer le minimum, et non de décider du salaire du bas de la grille. En chiffres concrets, le salaire réel pour une nouvelle recrue est au-dessus, systématiquement autour des 200 000 yen par mois, ce qui est quand même acceptable, et beaucoup vont au-dessus. Concrètement, ça m’a pas l’air si mal.

Le problème avec les jeunes, c’est qu’ils ont peu d’expérience ; les entreprises prennent donc en charge leur formation, et ce peu importe ce qu’ils ont fait à l’université. Ils accordent beaucoup plus de valeur à l’expérience qu’on peut gagner sur le terrain, qu’un talent inné, ou un cursus particulier, donc les entreprises ne sont pas tant regardantes au sujet des études poursuivies et le lien que ça peut avoir. Un étudiant en littérature coréenne peut parfaitement devenir banquier, ou chargé de ventes d’une entreprise de ramen. Peu importe, il sera formé pour, et on s’attend à ce qu’il peaufine de toute manière au fil du temps. Ce qui en fait un excellent coin pour commencer une carrière, pour peu qu’on ne s’attende pas à faire fortune tout de suite.

Fantastique, pourrais-je donc penser. Mais, bon, ça, c’est les explications un peu méta, qui disent rien de comment ça se passe concrètement.

Pour devenir un « vrai employé », le recrutement se prépare plus d’un an en avance. Il n’y a pas de trucs genre « candidature spontanée », et encore moins de recrutement en cours d’année. Tout le monde commence en même temps, au début de l’année, en avril. Et pour décider ça, il y a le Keidanren. En ce qui nous concerne, c’est les gars qui fixent le calendrier du Shūshoku Katsudō. Oui, un calendrier précis, que 90% des entreprises respectent. Les 10% restants, c’est les entreprises et associations étrangères qui n’en ont rien à foutre de ce que le reste du pays fait, comme l’Ambassade de France. Ce calendrier est la bible d’un étudiant qui fait son Shūshoku Katsudō. Il instaure une série de deadlines successives qui organisent toute son année. Une année qui commence le 1er Mars, avec l’ouverture des candidatures. Rien avant. Tout après.

Entry Sheet
Entry Sheet

L’étape 1, des candidatures. Les entreprises ont toutes leur propre format de candidature, unique mais très similaire, appellée Entry Sheet (ES). Elle regroupe les informations personnelles et de contact, l’historique de formation, expérience professionnelle s’il y en a (les arubaito sont à peine considérés comme tel), ainsi que quelques questions innocentes du genre « Racontez un épisode dans votre vie étudiante où vous avez travaillé dur », ou « Quel genre de challenge comptez-vous accomplir dans notre entreprise ? ». Le tout condensé en une feuille, dans des tableaux sexy qui rappellent les années 1970. Dans ce truc ultra-formel et cadré, il faut essayer de montrer son originalité, tout en conformité. Alors forcément, moi j’arrive, mon nom c’est même pas des kanjis, il me demandent de quel département de viens je réponds carrément par un autre pays, et j’ai un cursus académique qui dépasse un peu du chemin droit de juste une licence. Je fais un peu bazooka.

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Joint Setsumeikai. About 200 companies, and thousands of students.

Durant cette période, les entreprises qui recrutent font plein de 説明会 setsumeikai. Certaines un peu avant. Ce sont des sessions d’informations sur les activités de l’entreprise, qui ont pour but d’aider les étudiants à décider s’ils veulent ou non tenter de bosser dans ça. Au début, il y en a qui sont organisées avec plein d’entreprises, puis petit à petit, chacune de leur côté, assez souvent au siège, histoire d’en jeter un peu. Costard cravate fortement recommandé. L’ensemble de cette première étape se passe assez vite, donc il vaut mieux se tenir prêt. La plupart mettent une limite de fin des candidatures en Mai. Voire en Avril, histoire de déjà filtrer ceux qui sont lents. Dans l’idée, il faut postuler au plus d’entreprises possibles, parce qu’une fois cette étape finie, il ne sera même pas possible de se présenter.

Étape 2, à partir du 1er juin, début de la sélection. Toutes les candidatures recueillies depuis le début de ce grand festival sont examinées, et les candidats intéressants sont convoqués à des entretiens. La sélection passe donc d’abord par les ES, mais reste encore très tolérante. La vraie sélection se passe dans les entretiens. En premier lieu, par des entretiens de masse, qui vont jusqu’à regrouper tous les candidats (des centaines) et enchainer 1 par 1, voire par groupes. Si sélectionné, il peut y avoir un deuxième round d’interviews, suivi encore d’un entretien final, qui inclut généralement le PDG avec le jury des RH. On peut s’attendre à 30% de sélectionnés à chacune des étapes.

Et, durant l’été si t’es chanceux, mais plutôt en Octobre, la 3ème étape pour les survivants du massacre, répété de nombreuses fois dans plein de compagnies, l’annonce des 内定 naitei. Le naitei, c’est la dernière confirmation que tu seras pris. Les étudiants l’ayant reçus sont invités à la naitei-shiki, pour célébrer leur future admission dans l’entreprise. Tous commenceront à travailler le 1er Avril. En l’espace des quelques mois qui restent, les étudiants heureux et libérés de toute pression… doivent se re-concentrer sur leur université, pour leur rapport de fin de licence, mémoire, thèse. En ce qui me concerne, ces derniers mois seront aussi l’occasion de faire les procédures d’allongement de visa, et passer d’un statut étudiant à… salarié au Japon.

Mais bon, ça, on verra l’année prochaine. Là, j’ai quelques ES à remplir.

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