Japon

Hitchike

6 heures du mat’, un certain lac dans la préfecture de Tokushima, Japon. J’ai eu 3 heures de sommeil, trop de verres d’alcool de sudachi, et la chaleur ambiante me réveille déjà.  À moins que ce ne soient 3 autres JNSA qui dormaient sur les futons à côté qui partent. Je veux refermer mes yeux, mais ils ont été suffisamment ouverts pour repérer un abu posé sur le mur en face. Mieux vaut ne pas traîner, je n’ai pas envie de tester ce qu’une piqûre de ces gars-là peut faire. Lentement, je récupère mon sac, puis, sans plus de cérémonie, je pars. Pas un regard un arrière pour les 2 derniers qui ronflent encore. En passant devant le ryokan, je vois une voiture qui se prépare à partir, un autre JNSA mettant ses bagages dans le coffre. On me demande si je monte aussi, et sans demander la destination, j’y rentre. Une troisième nous rejoint quelques minutes plus tard, avec une tête qui dit qu’elle voudrait revenir dans son pyjama, et nous quittons les lieux.

DSC07849
It’s not actually a lake.
DSC07852
Farmer.

On nous dépose à l’arrêt de bus par lequel nous sommes arrivés la veille. Étrangement, un vieux y attend déjà. Un vieux étrange y attend déjà. Il nous regarde fixement avant de jeter des canettes de café par-dessus son épaule. Okay. Le bus arrive. La campagne japonaise que l’on traverse sous le soleil matinal semble bien différente, et présente un certain charme, une nature qui s’harmonise entre les rizières, montagnes et rivières se faufilant parmi la forêt pour se mélanger dans le lac. Nous sommes bien loin de Tokyo.

J’y rentrerai bientôt, mais j’espère le plus tard possible. En quête d’aventure, je compte y rentrer en stop, avec plein d’escales entre. Mais pour le moment, le périple en bus se poursuit par un train, pour revenir progressivement vers la civilisation, tout du moins la ville de Tokushima. Ce qui laisse suffisamment de temps pour faire un compte-rendu de l’English Campaign avec l’autre JNSA, à ma façon; heureusement, je n’étais pas le seul à s’être rendu compte que les étudiants étrangers n’y servaient à rien. Mon humeur pointe vers le bas, surtout en ce qui concerne le Japon dans son ensemble, et la place qu’un étranger peut y avoir. Pas exactement le genre d’état d’esprit qu’il faut alors que prévois de voyager au Japon, avec pour but de rencontrer plein de Japonais, à leur quémander de me faire voyager à l’œil.

DSC07859Arrivés à la gare de Tokushima, et une fois séparé et seul, la tentation de simplement continuer en train est grande. Le soleil est déjà vers son zénith, les thermomètres affichent 36°. Je pars faire un tour vers un parc environnant, et avec une bouteille d’eau énergisante prise dans un distributeur, la motivation me vient. Je vais le faire. N’étant absolument pas préparé, la première étape passe d’abord par faire une pancarte affichant ma destination voulue. Une ville dans la direction de ma destination finale, mais pas trop loin, où des gens pourraient se diriger. La petite bourgade d’Osaka. Alors que je décide de remplir mon panneau en rouge pétant, un héron me souhaite bon courage, alors que les passants faisant leur promenade dans le parc m’ignorent allègrement. Une fois prêt, j’examine Google Maps pour me placer sur ce qui semble la route en direction d’Osaka. Et, tout connement, j’y marche, brandissant mon truc à bout de bras. Il me faut peu de temps pour exploser de rire en imaginant à quel point j’ai l’air ridicule. Ce qui n’est pas si mal, au moins j’ai une tête qui sourit, ce qui est toujours plus accueillant. Et je continue de marcher.

All you ever need.
All you ever need.

En fait, il ne faut même pas 15 minutes pour que quelqu’un me fasse signe avant de se garer sur un conbini à côté. La trentaine, relativement mignonne, elle m’explique rapidement qu’elle passe d’abord chercher un ami avant d’aller à Osaka, et me demande d’attendre un peu dans le conbini. Tout content d’avoir trouvé une ride, je m’y pose, prends 3 bouteilles d’Orangina à offrir en remerciement, et… j’attends. Le temps passe, et je me rappelle que j’ai rien mangé. Le temps passe encore, et alors qu’avec l’excitation du moment, j’avais demandé à mettre mon gros sac à dos dans son coffre, l’angoisse prend le dessus. Si elle ne revient pas, j’aurai perdu quelques affaires. Moment de relativisation extrême: j’ai toujours l’essentiel, mon portefeuille, mon portable et mon appareil photo. Suffisant pour avoir toutes sortes d’aventures. Je jure de garder ma petite besace toujours sur moi. C’est un soulagement rare que je ressens en la voyant passer sa tête à travers la porte du magasin. Mon voyage débute,  nous partons à 3 vers Osaka.

DSC07862
Bridge to Kobe

Elle parle des quelque fois où elle a pu faire connaissance avec des étrangers, comment elle voudrait apprendre l’anglais, est surprise de mon niveau de japonais, et surtout comment ça se fait que des gens d’ailleurs puissent être intéressés par le Japon, alors qu’elle veut en partir. Les politiques corrompus, le tatemae typique qui fait que les gens ne sont pas honnêtes, les salaires de merde et la mentalité de groupe semblent plus que la décevoir. Au moins, elle est claire et dit ce qu’elle pense, ce n’est pas une japonaise comme les autres. Son ami est parfaitement d’accord, mais garde les yeux sur la route plutôt que de trop discuter. Merci de nous garder vivants, pendant que je remets une fois de plus en question ce que je veux faire dans ce pays. Alors qu’on approche d’Osaka par des ponts aux allures de Golden Gate Bridge, elle propose qu’on aille visiter le château d’Osaka ensemble.

J’y étais déjà allé, mais Osaka n’a pas beaucoup de coins à voir, donc m’y voilà. Allez, petit changement avec la plantation de pruniers qui prend des airs de savane durant l’été. Ils ont leur hôtel, et me laissent utiliser leur ordinateur pour chercher une chambre pour moi-même avant de se dire adieu. Une fois une petite guest house trouvée de l’autre côté de la ville, et déposé mes affaires, je repars avec une autre recommandation : Tsūtenkaku. Une monstruosité de tour érigée le siècle dernier. Pas incroyablement haute, mais suffisant pour offrir une vue panoramique des environs, tout en montrant son affreuse tête de ferraille dans tout le quartier.

Retour à la Guest house pour la nuit. 3 étages de chambres remplies de lits mezzanines, je ne vois pas vraiment une ambiance chaleureuse comme j’avais pu avoir dans mes expériences précédentes. Évidemment, je suis comme tous les autres qui passent ici, un radin qui a cherché le coin le moins cher d’Osaka. Histoire de quand même faire connaissance avec des gens, je vais faire un tour dans la salle commune, où je trouve 4 lycéens venus voir le Koshien. (Note : c’est la grande compétition de baseball de tous les lycées du pays, qui sert aussi de sélection à l’entrée des équipes pros.) Je leur propose quelques friandises que j’avais trouvé un peu plus tôt, et l’un semble les aimer tellement qu’il m’offre les restes du ticket Seishun18, train à volonté pour 5 utilisations, qu’ils avaient utilisé pour venir. Offre difficile à refuser, sachant que cela me permettrait de rentrer d’un coup à Tokyo en train si ma recherche de stop se montrait peu fructueuse.  Je finis la soirée sur mon portable, à rassurer des copains et leur dire que je suis toujours vivant après une journée de stop, et organiser le lendemain: rendez-vous avec une copine des JNSA à Nara, de préférence dans l’après-midi.

Mais alors que je prends le métro de bon matin pour rejoindre le centre d’Osaka avec pour seul but de trouver une voiture assez vite, je vois le nom d’un arrêt qui m’intrigue : 天王寺, Tennouji. Le 寺 signifie que c’est un temple, probablement l’un des seuls notables d’Osaka. Check rapide de la carte, et voyant un grand espace vert à proximité, je décide d’aller y jeter un coup d’œil. Un petit déjeuner sous la forme de Takoyaki sur le chemin, inévitables, j’arrive à l’un des 2 temples de la zone, Isshinji. Et, je me rappelle, violement, qu’il s’agit de la période de お盆, Obon au Japon. Période où il est coutume de se regrouper en famille, et tous ensemble, de faire une visite aux ancêtres défunts. Le temple est bondé.

L’avantage de cette période, qui dure à peu près toute la semaine, c’est que y’a beaucoup de gens qui bougent pour justement rentrer au foyer. Et ça, c’est bon quand tu veux voyager en stop. Après avoir visité l’autre temple (Shitennouji), bien moins peuplé, je m’y remets donc. J’avais préparé ma pancarte pour Nara la veille, je n’ai plus qu’à la sortir et la brandir du haut de mes bras. Marcher le longs des grandes avenues de centre-ville comme ça est une affaire encore un peu plus embarrassante que la veille. Il y a d’autre piétons, et les taxis, aux chauffeurs qui rient en me dépassant. Après peut-être bien 30, 45 minutes de marche en direction de l’entrée de la voie expresse vers Nara, quelqu’un klaxonne derrière moi, puis s’arrête à mon niveau en m’ouvrant la portière dans un même mouvement. Alors que je demande confirmation en japonais s’il va bien à Nara, une tête d’occidental me lance « Hey man, so you’re going to Nara heh? I’m going there for a quick round trip, you can get in! »

C’est ainsi que je fais connaissance de Dimitri, un roumain installé ici depuis plusieurs années, qui a lancé un business de tuning de voitures. Clairement, il aime les voitures, et à l’en croire, les modèles pour les enthousiastes japonais n’ont rien à envier aux voitures de sport européennes. Moi qui n’y connais rien, je suis quand même impressionné par la passion avec laquelle il fait ce qu’il aime, dans un pays qu’il aime, et essaye de s’adapter et de vivre comme un japonais. Ça redonne espoir. On arrive à Nara assez vite, et il me dépose « à 10 minutes de marche de la gare ». Je préviens ma copine, qui ne pourra arriver qu’une demi-heure plus tard. Les 10 minutes s’avèrent longues, à pied sous la castagne estivale avec mon sac à dos, au final j’arrive en même temps qu’elle. L’échelle de Dimitri pour la marche à pied n’est pas très précise.

Nara-style omamori

Me voilà donc désormais posé à Nara, et cette fois-ci, je ne suis pas seul. Yuki est l’une des rares personnes des JNSA que j’arrive encore à apprécier. Elle m’a sauvé de l’ennui le plus mortel lors de l’English Campaign deux années d’affilée, et maintenant se propose de faire hôte et guide de Nara, ville où elle a grandi. On commence par errer sans but dans les rues commerçantes à proximité de la gare, jusqu’à un quartier où toutes sortes d’artisans se sont rassemblés, Nara-machi. Il fait chaud, le soleil est -toujours- au zénith, l’idée lui vient alors d’aller voir un des meilleurs salon de thé de la ville. L’attente y est de plus d’une heure, donc au lieu de poiroter comme des cons, on réserve juste la place, et profite du temps pour aller voir les choses sérieuses : les temples et palais historiques de Nara, qui ont vu plus d’histoire que ceux de Kyoto. Nara était la capitale du Japon avant qu’elle ne soit transférée à Kyoto. Il y a longtemps.

dsc08098Une seule heure nous laisse le temps d’aller au temple le plus proche, la plus ancienne pagode du japon, une merveille sur 5 étages accompagnée d’un temple. Ce temple, bien que relativement petit à l’intérieur, m’a intrigué sur son utilisation de l’horoscope chinois. Une explication de Yuki m’enseigne quelque chose qui renverse toute ma compréhension de la culture japonaise, à tout jamais : le zodiaque était aussi utilisé pour les chiffres, et de nombreuses expressions en découlent, alors qu’elles n’ont pas énormément de sens sans cela. Imaginez ça avec l’horoscope « occidental » : faire bon usage de ses jambes de poisson, ou manger comme un sagittaire. Notons quand même que la mythologie affiliée à l’horoscope chinois détermine l’ordre dans lequel les bêtes apparaissent, donc ce n’est peut-être pas si étrange de voir cet ordre ré-utilisé.

dsc08107Mais, alors que je voyais toute ma compréhension du monde chamboulée, quelque chose d‘autre venait se mettre dans mes pattes. Quelque chose de velu, avec des cornes, et qui vient en meute pour manger : des cerfs. Il est impossible d’aller à Nara sans les voir, et ils sont tout autant une attraction que les structures quasi-millénaires. J’étais même surpris de ne pas en avoir rencontré plus tôt. dsc08111Il semblerait que Yuki, malgré avoir passé son enfance dans cette ville qui les vénère au même titre que des dieux, n’aime pas ces grandes bêtes. Plutôt que d’en prendre l’habitude, elle en a surtout gardé des traumatismes, et leur présence constante n’a pas arrangé la chose. Elle gardera une bonne distance. Je n’ai pas trop le temps de jouer avec eux de toute manière, on retourne vers le salon de thé, notre place devrait se libérer dans peu de temps.

Quiconque ayant un minimum l’habitude du Japon sait que s’il y a de la queue, c’est que ça doit valoir la peine. Avec plus d’une heure et demie d’attente à 15h un jour de semaine, ça fait monter l’excitation. Quand c’est parce qu’un local te dit que c’est le meilleur coin de la ville, tu t’attends à la meilleure kakikoori de ta vie. Je n’ai pas été déçu. J’aurais pu en pleurer, si je n’avais pas déjà vidé toute l’eau de mon corps en transpiration plus tôt. Leur menu indique chaque ingrédient qui rentre dans la composition, avec une attention au détail que l’on retrouve rarement ailleurs. C’est une bonne occasion pour discuter tranquillement, et faire honneur à l’idéal de ichigo ichie, profiter de chaque rencontre comme si elle était unique. Et puis, avec toute cette attente, on va pas se gêner, on va prendre notre temps comme le cadre est sympathique. Cercle vicieux, comme ça fait attendre ceux derrière, mais c’est bon.

La suite tient d’une coïncidence bien heureuse : la ville de Nara organisait pile à partir d’aujourd’hui un festival de lanternes, installées dans tous les coins touristiques une fois la nuit tombée ; la famille de Yuki était même parmi les volontaires pour animer l’évènement. Le Nara Tokae (littéralement, dessin de fleurs en lanternes). On s’organise pour se retrouver devant l’Hôtel de ville, reprendre mon sac et mon trépied. Je suis rapidement prêt à prendre des photos au milieu de la foule et des cerfs.

Des jolies lanternes posées par terre.

dsc08317dsc08334Je passe la nuit chez ma copine, et le lendemain, la famille m’emmène à Uji, le royaume du matcha. C’est à dire que 70% du matcha produit au Japon (qui doit avoir un monopole sur ce genre de thé), vient de cette ville non loin de Kyoto. Si le matcha ne vient pas de Uji, c’est probablement un thé de mauvaise qualité. En tant qu’amateur de thé, je n’ai pas pu cacher mon excitation rien qu’à entendre ce nom. Sur la route, le père me montre des champs de thé. C’est le truc que je voulais voir en priorité, mais, en fait, ils ne sont pas accessibles pour les visiteurs.

dsc08327À Uji, ils m’emmènent à un salon de thé/restaurant, qui utilise du matcha dans tout. D’une certaine manière, on peut trouver ça dans plein d’endroits, pas besoin d’aller se fourrer jusque dans la campagne nippone. Mais, ils sont producteurs de leur matcha, et là ça change tout. La boite « Nakamura » est même assez réputée, parait-il. Je ne suis pas assez connaisseur pour que ce nom générique m’évoque du matcha, à 5 000 yen les 15g. Bonus spécial été: ils organisent des sessions de cérémonie du thé. Le père nous inscrit ma copine et moi.

On commence par inscrire son nom, bien calligraphié. Dans mon cas, même en japonais j’écris en pattes de mouche, le genre unijambiste boiteux. Je retrouve évidemment les compliments  Évidemment, j’en suis pas à ma première. Je pourrais bien croire que j’en ai fait plus que la plupart des japonais dans la salle.

 

Et après avoir écrit ça, j’ai cherché mes mots. Une heure assis devant l’ordi à réfléchir sur comment écrire la suite. Puis les heures deviennent des jours. Et cet article, que j’avais commencé à écrire avec tant d’enthousiasme, avec tant d’aventures époustouflantes que je voulais raconter, devint mon plus grand exemple de writer’s block. Nous voilà en 2017, pour un voyage fait en Août 2016, je décide de prendre les choses en main. Et de ne plus rien écrire sur cet article. Peut-être plus tard, quand l’envie me reprendra, mais tant pis. Au moins, j’ai des photos. Ça devrait bien valoir 1000 mots. N’hésitez pas à demander des détails dans les commentaires, je devrais répondre dans l’année.

Tokushima > Osaka > Nara > Uji > Nara > Ise > Matuzaka > Nagoya > Gifu > nofuckingclue > Tokyo

Leave a Reply

Your email address will not be published.