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仙台・千題 Sendai Stories : Shōgatsu

En revenant sur Sendai ce soir du 31 Décembre, je retrouve les rues quasiment désertes.

Évidemment, c’est le お正月 (o shōgatsu), le soir du nouvel an, dont je ne saurais insister assez sur son importance. Alors que Noël restera toujours un concept assez étranger, qu’ils font à leur sauce pour le fun, le nouvel an, là c’est du gros. Les Japonais portent une grande importance à toutes sorte de transition, à célébrer l’entrée (入学式, nyūgakushiki) et la sortie (卒業式, sotsugyōshiki) de l’université, l’entrée dans une compagnie (採用式, saiyōshiki, ou encore 入社式, nyūshashiki), le départ de quelqu’un (送別会, sōbetsukai) ou son retour (歓迎会, kangeikai), le passage de quelqu’un à l’age adulte (成人式, seijinshiki) ou vraiment tout autre évènement dans le genre. Alors le nouvel an, comme en plus c’est un évènement qui arrive à tous en même temps, fait du shōgatsu l’une des célébrations les plus attendues de l’année. Et les japonais ont leur propre manière de le célébrer, qui, pour un étranger, est assez difficile à voir. Non pas par une quelconque sorte d’exclusion, simplement parce que le nouvel an se fait strictement en famille, et il est peu coutume d’y ajouter des amis. Il m’est donc difficile d’assister à cet événement familial, moi qui ne fais pas partie d’une famille japonaise.

Mais ! Cette fois-ci, étant dans une guest house, j’ai pu passer le shōgatsu, et le 1er de l’an en compagnie de japonais de passage, eux-mêmes venus séparément. Il s’agit certes d’une situation exceptionnelle, personne n’étant strictement en famille, et étant (à l’exception de deux amies) des inconnus le matin même, il serait difficile de prétendre être amis de longue date. Toutefois, ce serait ridicule de faire chemin séparé alors que nous sommes sous le même toit. J’ai donc pu fêter le shōgatsu en bonne et due forme à la japonaise, ou presque. La question se pose alors, ce mystère pouvant enfin être résolu : comment les japonais fêtent-il le nouvel an ? Ayant eu l’expérience de fêter le réveillon du nouvel an en France, je pourrais établir une comparaison, et dire qu’il s’agit d’une copie conforme du réveillon français. Seulement, non seulement ce serait faux, ce ne serait pas très intéressant. Il y a certes des points communs.

Shogatsu under some kotatsu is some form of paradise.
Passer le nouvel an avec des kotatsu est une sorte de paradis.

Dans l’essentiel, il y a un grand repas, qu’on fête en groupe. Seulement les plats servis dans ce repas ont une importance. Le menu change selon la région. Sendai, là où je suis, est connu pour un plat du nom de gyu-tan. Concrètement, il s’agit de langue de bœuf, élevé dans la région pour mériter la lettre d’honneur de bœuf de Sendai. Alors que beaucoup accordent toute leur attention au bœuf de Kobe, Sendai tire aussi une certaine fierté dans son propre élevage. Bien que certaines mauvaises langues m’informent qu’il s’agit souvent d’un simple import d’Australie. Quoi qu’il en soit, à Sendai, manger du gyu-tan pour le nouvel an semble être un impératif. Il me semble également avoir remarqué de plus en plus de mentai-ko à Fukuoka vers cette période de l’année, ce qui tend à confirmer que chaque coin du Japon inclut sa spécialité régionale. N’oublions pas que chaque ville tient à mettre en avant sa production locale en tant qu’atout touristique, au point que les japonais la considèrent aussi importante à tester que tout autre monument à visiter, et que les locaux eux-même le considèrent comme une partie de leur identité qui va avec leur lieu de naissance, au point de régulièrement lancent des défis entre régions pour décider « une fois pour toute » de qui a la meilleure…  Je peux au moins vous assurer que tout le monde sait quoi choisir comme spécialité selon où il est.

J’ai donc pu manger pas mal de gyu-tan. Suffisamment de gyu-tan pour tenir l’année. Mais ce n’est pas tout, d’autres plats s’ajoutent, qu’on appelle sechi ryori. Ou juste osechi. Il s’agit d’un ensemble de petits plats, à la variété bien plus grande que la quantité. Chacun de ces petits trucs a semble-t’il une signification particulière, pour souhaiter bonne chance pour la nouvelle année, l’absence de malheur, la réussite ou d’autres encore. Plus c’est varié, mieux c’est, comme on est mieux paré pour affronter l’année qui vient, et laisser derrière celle qui se termine. Je ne saurais donner plus de détails à ce sujet, si ce n’est que la préparation de cette multitude de repas est tellement fastidieuse qu’il n’est pas rare de commencer plusieurs semaines avant la fin de l’année. Ou de les commander à un traiteur, parce que nous sommes dans un monde terriblement moderne, matérialiste et que le temps est trop précieux.

L’histoire pourrait s’arrêter là, mais c’est loin d’être fini. Le shōgatsu ne consiste pas qu’en un grand repas, même si rempli de significations. Il y a aussi le 初詣 hatsumōde.

Le hatsumōde, c’est la première prière de l’année. Elle peut être faite à tout moment, et beaucoup la réservent pour le premier de l’an, voire les jours qui suivent, mais il se trouve que les Japonais avec qui j’étais étaient d’humeur particulièrement enthousiaste, et ont voulu le faire aussi « proprement » que possible, c’est à dire, à minuit pétante. Notons au passage que le repas s’est fait avant, et qu’ils ne pensent pas particulièrement à commencer le réveillon après minuit. Nul besoin de patienter alors que la nourriture est si tentante. C’est donc un peu avant minuit que nous nous sommes dirigés vers le temple le plus proche, 東照宮 Tōshōgū.

_DSC0557Au fur et à mesure que l’on se rapproche du temple, on voit de plus en plus de gens qui vont dans la même direction. En arrivant au temple en question, il y a déjà pas mal de monde qui attend. _DSC0536Quelques stands se sont même installés, comme un matsuri. Les gens s’amassent sur les escaliers, mais il y a déjà tellement de monde que l’entrée est inaccessible, et même déjà couverte à la vue. Tant de braves qui affrontent le froid. On s’installe parmi cette foule, et ainsi commence la longue attente avant le début de l’année 2016. Ou, selon le calendrier impérial japonais, Heisei 28. À chaque changement d’empereur, on change de période. L’empereur actuel Akihito a succédé au trône en 1989, et a choisi (avec son cabinet) de nommer cette ère 平成 heisei: composé des caractères pour la paix et de devenir. Changement assez radical par rapport à l’ère précédente, Shōwa 昭和 (brillance du Japon) qui avait vu la seconde guerre mondiale, et le Japon s’étendre sur la moitié de l’Asie. Sur les escaliers, les gens bougent peu à peu, ou on pourrait plutôt dire qu’ils s’entassent de plus en plus. Minuit passe, sous les acclamations de la foule qui vérifie l’heure sur son smartphone. 2015 est derrière nous. Cette année 2016 sera, selon l’horoscope chinois, l’année du Singe. Enfin, l’année chinoise, elle commence le 8 février. Ce qui tombe bien, comme c’est le jour où je poste cet article. Bonne année !

Puis le temple fait sonner, lentement, sa cloche, accompagné de coups de tambours. L’accès à l’autel est ouvert, et les premi_DSC0549ers arrivés peuvent faire leur hatsumōde. Puis les suivants. Petit à petit, la foule devant avance, tandis que toujours plus de monde se rassemble derrière. Il faut bien une demi-heure de plus avant que ce soit notre tour, pour faire face à un choix décisif. À quelle cloche prier. Chacune ayant une couleur différente, leur effet doit être différent. Me trouvant des influences chinoises, je vais pour le rouge, bien que le blanc semble avoir plus de succès. Et m’y voilà, mon premier hatsumōde. Je sonne la cloche. C’est le moment de faire ses résolutions pour le nouvel an, face aux dieux. Personne ne dévoilera ses vœux de vive voix. Je clappe des mains, et j’ai fini.

_DSC0554Ensuite, dans un élan continu de superstition, tout le monde va voir ce que l’année leur réserve, en prenant un mikuji, petit rouleau qui annonce ta bonne fortune. On peut choisir entre 2 mikuji, un normal pour 100 yen ou un de « grande chance » pour 200 yen._DSC0551 La mythologie japonaise ne s’interdit pas le commerce. Et je suis un homme petit. Je tombe sur une fortune moyenne, qui me prévient qu’heureusement, la neige fond au soleil du matin. Je pourrais passer l’année à tenter d’interpréter ça. Personnellement, j’aime bien la neige, donc j’étais pas très content de voir ça. Cependant, il y a un moyen facile de changer son destin ; accrocher son bout de papier à une branche suffit pour l’annuler.

_DSC0565-2Même après le réveillon, certains du groupe trouvent encore le moyen d’avoir faim, on finit la soirée avec un ramen. Dur de s’imaginer que quiconque soit ouvert un soir du nouvel an, surtout à une heure et demi du matin, et pourtant. Le restaurant est même bondé. C’est là, entre voyageurs, alors que chacun discute de ses projets pour le futur (sa destination pour le lendemain), qu’une autre idée surgit. 2 d’entre eux avaient prévu d’aller à Naruko. D’autres comptaient juste ne rien faire, comme le premier de l’an est un des rares jours fériés au Japon, autant en profiter pour se reposer. De mon côté, j’avais prévu d’aller à Tashirojima, mais, disons que je suis flexible, après avoir raté mon coup pour Zao, je me suis dit que ce serait pas plus mal d’aller les suivre. Au final, 5 d’entre nous décident d’aller ensemble à Naruko, l’un a une voiture pour nous y emmener.

Le lendemain matin, 1er Janvier nous nous retrouvons donc pour aller à Naruko, coin dans les montagnes. Contrairement à Zao, le paysage n’est pas forcément le principal. Ce sont les onsen.

Et concrètement, j’ai bien passé toute la journée à me prélasser dans les eaux volcaniques. C’est une année qui commence bien. Pour être exact, on est allé dans deux onsen. Le premier, à accès libre parce qu’on est le premier de l’an, a une eau particulièrement trouble parce qu’il garde des 湯の花 (yu no hana, fleurs d’eau), petites particules qui ressemblent à des pétales. Le second, est étrange. Ça a l’apparence de l’eau, c’est de l’eau, mais en rentrant dedans, ça n’a pas la texture de l’eau. C’est lisse et ça glisse. C’est épais et fluide. Ça donne l’impression d’être une lotion. Les onsen sont toujours marrants parce qu’ils ont un truc de plus, qui dépend du volcan d’où il tire sa source. Naruko est dans une chaine de volcans.

Ah.

Autre chose qui va avec le nouvel an. Les 福袋 fukubukuro. Ce sont des sacs vendus par les magasins, au contenu aléatoire. Enfin, le contenu est inconnu, mais la valeur totale est censé dépasser celle du sac. Alors que le 1er de l’an est férié, et donc peu de magasins sont ouverts, le 2, la folie commence. C’est le 初売り Hatsuuri.

J’avais une copine qui vient de la région, qui était rentrée dans le coin pour passer le nouvel an en famille. On s’est arrangés pour se voir dans la journée, mais sa présence en ville était également motivée par ce hatsuuri. La fièvre se comprend. Même si le contenu est inconnu, ça peut être un bon investissement. Et puis, c’est pas entièrement au pif non plus, les magasins n’y mettent que des produits qu’ils vendent normalement, donc pas moyen de se retrouver avec du parfum dans le fukubukuro d’une boutique de vêtements. Les magasins de vêtements d’ailleurs, font aussi leurs sacs selon la taille, pas de problème de ce côté-là non plus, à moins que tu sois bête et que tu prennes quelque chose qui te va pas. Alors que des soldes classiques attirent en étant moins cher, là, l’attrait est d’obtenir bien plus pour autant. Par exemple, un fukubukuro vendu à 2000 contiendrait plusieurs shirts à 1500. Et puis, beaucoup de magasins accompagnent d’ailleurs la vente de fukubukuro par des soldes sur le reste.

Ma copine m’apprend d’ailleurs que ça tombe bien que je sois à Sendai, parce que la tradition vient de là. J’en avais déjà vu à Fukuoka, donc la tradition s’est bien étendu à l’autre bout du pays. Pionners, ce sont ceux qui le font au plus extrême. Il n’est pas rare de trouver pour plus du double de la valeur dans le sac. Et en fait, certains magasins l’annoncent direct. En bref, c’est le bon moment et le bon endroit pour faire les boutiques. Les fukubukuro sont en nombre limité, et ils s’écoulent vite. Comme ma copine qui s’est déplacé vers la ville exprès, j’ai l’impression que tout le Tohoku est venu, et leur objectif est clair.

Là, les rues de Sendai sont bondées.

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